D’après le Larousse en ligne, une fée du logis est une personne qui s’occupe remarquablement de son intérieur.
Cette expression est dévalorisante de nos jours. Elle laisse entendre que le travail domestique ne suppose pas d’effort, puisqu’il est réalisé de manière surnaturelle. La fée du logis la plus connue est sans doute Samantha, la sorcière bien-aimée. Même si elle renonce officiellement à la magie, elle y recourt parfois pour mettre sa maison en ordre ou accueillir un invité surprise. Mais la plupart des véritables fées du logis n’ont pas la chance de pouvoir tout ranger et nettoyer d’un coup de baguette magique.
Pourtant la fée du logis n’est pas, à l’origine, la ménagère parfaite. Le glissement sémantique s’est sans doute produit vers la fin du 19ème siècle, quand le partage des tâches entre hommes et femmes que l’on connaît encore actuellement s’est mis en place : l’époux à l’usine ou au bureau et l’épouse à la maison.
La Comtesse Drohojowska, née Antoinette Joséphine Françoise Anne Symon de Latreiche, a composé de « nombreux livres d’enseignement et de morale religieuse à destination des jeunes filles, d’ouvrages historiques, de biographies et de romans » (Wikipédia). En 1877, elle publie La fée du logis.
Ce roman narre l’histoire d’Ondine, une enfant rescapée d’un naufrage et recueillie par un ancien commandant de vaisseau et sa gouvernante.
En grandissant, l’enfant apporte la joie de vivre dans la maison du vieux loup de mer.
Oui, vraiment, Ondine était la fée du manoir, et quelle fée !
Nous doutons que la baguette du puissant enchanteur Merlin ait jamais accompli une transformation plus complète que celle qu’a subie, dans le cours de ces huit années, le triste intérieur dont nous avons esquissé les traits généraux au début de notre récit.
Le mouvement et la vie, amenant avec eux la joie et le bonheur, sont entrés dans cette demeure si triste et si froide.
Une fois le vieux loup de mer mort, c’est son frère qui s’occupera d’Ondine. Il vit à Paris où il est un banquier au cœur desséché. Là-aussi, Ondine métamorphose la maison, ses habitants et même la banque :
« La fée du logis » continuait son œuvre bénie ; il eût été difficile de trouver dans l’immense capitale une maison mieux ordonnée, mieux tenue, plus calme et surtout plus heureuse que celle du banquier.
Un an à peine s’était écoulé et la transformation était si complète que ses plus intimes amis—s’il eût eu des amis — se fussent refusés à le reconnaître.
Il n’est pas jusqu’aux bureaux de la banque, jusqu’à ce cabinet où nous avons fait entrer nos lecteurs sur les pas de Bertrand et d’Ondine qui n’aient changé d’aspect.
La jeune fille n’y est pas entrée dix fois depuis qu’elle habite chez son oncle et cependant son influence y a fait pénétrer un clair rayon de soleil qui ne cessera plus d’y briller.
Bien entendu, les transformations passe par des actions d’une maîtresse de maison, mais c’est surtout dans les cœurs que les changements s’opèrent.
Grâce à Ondine et à son oncle banquier, le fils du château voisin en Bretagne, vivant dans la gêne à Paris, est tiré de son mauvais pas. C’est lui qui révèle à Ondine le mystère de sa naissance : son père était un Anglais établi dans les colonies et il revenait à Londres suite à la mort de son père, avec sa famille, quand son bateau fit naufrage. Cet Anglais avait épousé une bretonne et le couple devait se rendre en Bretagne où on les a attendu en vain. Ondine était d’ascendance noble et riche, mais n’avait plus de proches parents et n’avait pas droit à hériter des biens de son père, étant une fille. E effet, selon une ancienne loi anglaise bien connue des lectrices de Jane Austen, les filles n’héritaient pas des biens de leur père, qui revenaient alors au parent mâle le plus proche. Dans le roman, Ondine ne se marie pas. Tout au plus est-elle promise au fils de ce châtelain désargenté, qui est en mer encore pour un bon moment. Son oncle adoptif n’est pas pressé de la voir se marier :
Après tout, se dit le banquier, dois-je me préoccuper d’un délai qui m’assure à moi?même une prolongation de bonheur? une fois Ondine mariée, je ne serai plus, comme maintenant, tout pour elle; ma maison ne sera plus son univers…. Mais à quoi vais-je songer là? deviendrais-je par hasard égoïste?…
Mais en bon breton, il sait bien qu’il ne devra pas se séparer complètement de sa nièce adoptive si elle venait à se marier :
Eh ! eh! plus peut-être qu’il ne le faudrait pour l’acquit de ma conscience, car, je puis bien me l’avouer à moi-même, l’idée que, de toutes les femmes, celle d’un marin continue, plus que toute autre, à appartenir à sa famille, après son mariage, n’a pas été étrangère au bon et prompt accueil que j’ai fait à la première idée de ce projet.
Ondine finira par épouser ce marin au long cours. Le banquier veille à un partage équitable des biens afin que les deux familles d’Ondine se sentent à l’aise. Car la fée du logis veille à l’abondance de la maison qu’elle occupe. C’est l’une de ses caractéristiques. Ondine, par sa naissance mystérieuse et son pouvoir de générer bonheur et abondance autour d’elle, est manifestement une fée. Mais par sa prise en main d’une maison, elle évolue déjà vers un rôle cantonné au ménage.
Un vaudeville écrit vers 1843 par Auguste Anicet-Bourgeois (1806 – 1871) et Brisebarre, intitulée La fée au logis raconte l’histoire de Fleurette, une pauvre orpheline qui a été trouvée dans un champ, et qui, recueillie par un bourgmestre, porte bonheur au logis. Un comte proscrit et ruiné la demande en mariage, parce qu’il la croit la fille du bourgmestre. Celui-ci, furieux que l’on préfère l’orpheline à sa propre fille, la chasse de la maison, d’où le bonheur sort de la maison. Fleurette est secourue par un gardeur de dindons, et se réfugie dans un château, où elle retrouve sa mère, qui n’est rien moins que la souveraine d’un petit duché d’Allemagne. Le comte obtient de celle-ci sa radiation, la restitution de ses titres et de ses biens, et tout cela grâce à l’intervention de Fleurette, qu’il finit par épouser.
Dans cette histoire, la fée a également une origine mystérieuse. Elle apparaît dans un champ. Elle apporte le bonheur dans la maison où elle habite et le bonheur quitte cette maison si elle s’en va.
Ces deux textes, qui par ailleurs n’ont pas laissé un souvenir impérissable dans la littérature, témoignent cependant d’un glissement. La fée du logis a gardé une partie de ses pouvoirs, mais elle n’est plus tout à fait une créature surnaturelle. Si son apparition reste mystérieuse, on finit par lui trouver une ascendance humaine honorable. Elle s’occupe de plus en plus de l’intendance, mais pas encore des travaux domestiques proprement dits.
La fée du logis ou fée du foyer est cependant une véritable fée à l’origine. Il existe plusieurs types de fée : les plus connues sont les fées du destin ou marraines-fées. Ces fées sont d’anciennes divinités du Destins : les Moires de la mythologie grecque, les Parques des Romains ou les Nornes des Scandinaves. Le mot fée lui-même vient du latin fatum, le destin. Les fées de la Belle au bois dormant appartiennent à cette catégorie. D’autres fées sont liées aux éléments de la nature : les ondines habitent les cours d’eau, les lacs, les marais, les sylphes volent dans les airs. De manière plus général, des créatures féeriques habitent la nature. Elles forment ce qu’on appelle le petit peuple : elfes, gnomes, gobelins, lutins, etc. Mais on oublie souvent les fées qui sont liées aux maisons et aux activités des humains. Au Moyen-Âge, Dame Abonde était la fée tutélaire du foyer. Elle était la compagne de Dame Satia (satiété). Ell est semblable à Dame Perchta en Allemagne ou Stefania en Italie. Elle visitait les habitations pendant les douze jours de Noël, plus spécialement le 6 janvier. Menant son propre cortège ou accompagnant Dame Perchta, elle a des compagnes appelées les Dames de la Nuit. La population disposait de la nourriture pour ces bonnes Dames qui assuraient la prospérité des maisons où elles se sentaient honorées. Dame Holle peut aussi être associée à ce groupe de fées. Elle récompense les filles qui filent la laine avec ténacité. C’est en secouant ses duvets qu’elle fait tomber la neige en hiver. Bien entendu, l’abondance ne vient pas seulement par magie : elle est liée au travail assidu, mais également à la sobriété.
L’idée d’une créature surnaturelle qui assure l’abondance dans une maisonnée est répandue. On retrouve dans les contes des génies qui accomplissent le travail domestique en échange d’un repas. Ils apportent le bonheur ou la prospérité. Ils peuvent quitter la maison si on leur offre un vêtement. Dans le Jura, ce génie s’appelle le Foulta. On raconte qu’un paysan prospère devait s’absenter. En son absence, ses fils s’occupaient de la ferme. Avant de partir, le paysan leur recommande de ne pas oublier de nourrir le Foulta. Par défiance, les garçons décident de ne rien lui donner. La nuit suivante, les clôtures qui protègent les vaches du domaine sont mystérieusement ouvertes. Les vaches s’enfuient et tombent toutes dans un précipice. Les jeunes gens essaient de donner de la crème au Foulta, mais ce dernier est déjà parti, laissant la maisonnée en proie à un long malheur. Parmi ce type de génie, on peut également mentionner le Brownie écossais. Et bien entendu, on le retrouve dans les aventures d’Harry Potter sous la forme de l’elfe de maison.
Les Romains avaient également des dieux domestiques : les Pénates, choisis parmi les dieux du panthéon, sont attachés à une famille et la suit dans ses déplacements, tandis que les Lares sont liés à un lieu précis. Tous faisaient l’objet d’un culte et recevaient des offrandes.
Comme on le voit, les maisons ont également été investies par des créatures surnaturelles. Leur comportement ou la manière dont les habitants les traitaient pouvaient expliquer le malheur, comme le bonheur. Il était cependant possible de les influencer favorablement par le biais d’offrandes.
James Barrie, l’auteur de Peter Pan, a écrit un jour: Chaque fois qu’un enfant dit : “Je ne crois pas aux fées”, il y a quelque part une petite fée qui meurt.” La fée du logis était autrefois une véritable fée. Mais comme on a cessé de croire aux fées, elle a été peu à peu remplacée par l’épouse, à travers son rôle de maîtresse de maison. Avec la disparition de la domesticité, dans une société moderne plus égalitaire, la nouvelle fée du logis a également eu la responsabilité des travaux ménagers. Toutefois l’attribution symbolique de ce travail domestique à une fée a pour conséquence de diminuer le mérite de celle qui l’accomplit. En effet, la fée agit sans efforts particulier, ce qui n’est pas le cas d’une mère de famille. Pour revenir à la Sorcière bien-aimée, Samantha correspond tout à fait à cette femme entièrement dévouée à son époux et dont l’action semble normale. Paradoxalement, c’est Endora, sa mère, qui tente de lui faire entendre raison et de lui rappeler ses devoirs de sorcière. Et bien entendu, c’est au personnage d’Endora que va ma préférence. Si la fée du logis retrouve un nouveau souffle, il faut qu’elle redevienne une véritable fée.