La canicule est une période de grande chaleur qui est associée, dans l’Antiquité gréco-romaine, avec un phénomène céleste, le lever héliaque de Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel. La date de ce phénomène était fixée par convention au 20 juillet, correspondant au lever héliaque de Sothis, nom de Sirius en Egypte, sous la latitude de Memphis en Egypte. Il faut chercher l’origine de cette convention dans l’importance considérable de cette date dans la conception des différents calendriers de l’Egypte ancienne, lunaires ou solaires. A travers l’histoire du calendrier des Egyptiens, on constate que la mise en place de calendriers précis a constitué un long processus ponctué de solutions parfois bancales.
Cette vague de grosse chaleur peut certainement s’expliquer de diverses manières : à court terme une somnolence de l’anticyclone des Açores, à long terme le réchauffement climatique, coupable de tous les maux. Mais cette période chaude de l’été n’est pas née de la dernière pluie. Les auteurs antiques s’en plaignaient déjà. Ainsi Virgile, dans les Géorgiques parle de « la canicule ardente, qui fendille les guérets béants de soif » (2, 353, trad. Maurice Rat). Etait-elle en ce temps-là imputable à une divinité ?
Les grandes chaleurs de l’été étaient associées au lever héliaque d’une étoile bien précise. Le lever héliaque désigne l’apparition d’une étoile dans le ciel juste avant le lever du soleil, après une période durant laquelle elle n’était plus visible dans le ciel. Pour les Romains, cette étoile portait le nom de Canicula, à savoir la petite chienne. Elle fait partie de la constellation du Grand Chien. Pour les Grecs, elle se prénommait Sirius (du mot seirios, ardent, brûlant). Aratos décrit bien le lien entre l’apparition de Sirius et la canicule :
Parcourons maintenant d’autres constellations qui, placées plus bas que les premières, essuient les fureurs des vents du midi.
La première, emportée obliquement sous le poitrail du taureau, est celle d’Orion ; aucune étoile voisine ne désignera cet homme, plus que les flammes répandues sur tout son corps, tant sa tête, ses larges épaules et son baudrier lancent de rayons, tant le fourreau de son épée et son pied étincellent de feux.
Tel aussi son gardien fidèle, le Chien vomit le feu par sa gueule redoutable, mais il est moins remarquable par le reste de son corps. Les Grecs le nomment Sirius. Aussitôt qu’il a touché les rayons du soleil, l’été s’allume, son lever opère deux effets différents dans les productions de la terre ; il fortifie celles qui sont vigoureuses, mais il tue les faibles rameaux greffés ou entés, et les plantes qui penchent languissamment la tête. Aucun astre ne réjouit ou n’attriste davantage, aucun n’est observé plus que lui, dès qu’il commence à paraître.
Les Phénomènes d’Aratus par Germanicus César, traduction Abbé Halma, Paris, 1821 (remacle.org)
Dans la mythologique antique, Sirius était l’un des deux chiens du chasseur Orion, avec Procyon dont le nom est aussi celui d’une étoile de la constellation du Petit Chien. On connaît plusieurs versions de la mort du chasseur Orion. D’après l’une d’elle:
Au lever du Scorpion, les sinuosités en fleuve se rendront au vaste Océan, où il effrayera par sa venue le terrible Orion, que Diane a puni, selon une tradition antique. On raconte que le brave Orion lui enleva son voile, quand dans Chio, assisté d’Oenopion, il terrassait les bêtes féroces à coups de massue ; la déesse envoya contre lui un autre animal, entre les collines qui règnent au milieu de l’île ; c’était un énorme scorpion qui le mordit et le fit mourir, pour l’insulte qu’il avait faite à Diane. C’est pourquoi on dit qu’à la venue du Scorpion, Orion s’enfuit sous terre à l’opposé, et tout ce qui reste d’Andromède et de la Baleine s’enfuit visiblement avec lui.
Aratos de Solis, Phénomènes I, traduction Abbé Halma, Paris, 1821
Comme Orion était un grand chasseur, ses chiens se retrouvèrent également métamorphosés en constellation:
D’autres disent que c’était le chien d’Orion, et qu’il accompagnait son maître à la chasse, les chiens combattant avec les chasseurs contre les bêtes farouches, et qu’ensuite il fut placé au ciel avec Orion; ce qui est assez vraisemblable, d’après tout ce que nous avons dit d’Orion. Ce chien a une étoile nommée Isis à la tête, une grande et brillante nommée Sirius à la langue, (c’est ainsi que les astronomes nomment les étoiles étincelantes), une obscure à chaque épaule, deux à la poitrine, deux à l’échine, trois au pied de devant, deux au ventre, un à la hanche gauche, une au bout du pied, une sur le pied droit, quatre à la queue; en tout, 20.
(…)
Procyon précède le grand chien, d’où lui vient son nom. C’est le chien d’Orion qui, ayant beaucoup situé la chasse, prit ce chien près de lui. Ou y voit aussi un lièvre et d’autres bêtes. Il a trois étoiles dont la première se montre très brillante dès son lever, comme le chien (Srius), c’est pourquoi on l’appelle le précurseur du chien (c’est la canicule ou petit chien), car il monte et descend avant le grand.
Erathosthène, Constellations, traduction Abbé Halma, Paris, 1821 (remacle.org)
C’est ainsi que Sirius se retrouva à briller de tout son éclat dans le firmament.
Nicolas Poussin (1594–1665), Paysage avec Orion aveugle cherchant le soleil, 1658, Metropolitan Museum of Art, New York
Cette étoile est tout à fait particulière, car c’est l’objet céleste fixe le plus brillant du ciel. Elle n’a donc pas passé inaperçue et elle a fait l’objet de nombreuses observations. Son lever héliaque est généralement situé, dans les textes antiques, autour du 20 juillet. La date du lever héliaque d’une étoile dépend fortement de la latitude à laquelle l’observation du phénomène est faite. Or le 20 juillet correspond à la latitude, pour ce phénomène céleste, de la ville de Memphis, en Egypte ancienne. Cependant, et plusieurs textes le confirment, cette date du 20 juillet est devenue une convention pour le lever héliaque de Sirius non seulement dans toute l’Egypte, mais également pour les Grecs et les Romains et cela indépendamment de toute observation locale.
C’est dire si l’importance du lever héliaque à Memphis fut si considérable que sa date en ce lieu précis s’est imposée dans le reste du monde antique. Ce levier héliaque joue en effet un rôle essentiel dans la constitution du calendrier égyptien. Et l’histoire du calendrier égyptien est des plus étonnantes.
En Egypte, Sirius est une déité féminine. Elle porte le nom de Sothis. Elle est parfois représentée sous la forme d’une femme et parfois sous celle d’une vache. Sothis est aussi identifiée à la grande déesse du panthéon égyptien, Isis.
Les prêtres d’Egypte disent non seulement de ces deux divinités, mais en général de tous les dieux qui ne sont pas éternels et incorruptibles, que leurs corps sont déposés dans leur pays, où on leur rend les honneurs convenables, et que leurs âmes brillent dans les cieux au rang des astres ; que l’âme d’Isis est appelée par les Grecs la Canicule, et Sothis par les Egyptiens ; que celle d’Horus est Orion, et celle de Typhon la Grande Ourse.
Plutarque, Traité d’Isis et d’Osiris, traduction : D. Richard, Paris, 1844 (remacle.org)
Dans plusieurs textes égyptiens, Sothis est également associée à la crue du Nil qui, comme on le sait, déversait sur les rives du fleuve un limon qui assurait à l’Egypte sa prospérité agricole.
Représentation fidèle du Zodiaque de Denderah, Alexandre N.Isis (Wikimedia Commons)
Zodiaque de Denderah (photo Vania Teofilo, Wikimedia Commons)
Zodiaque de Denderah (détail, photo Vania Teofilo, Wikimedia Commons)
L’étoile Sothis se trouve sur le Zodiaque de Denderah, un bas-relief initialement situé au centre du plafond d’un temple et actuellement conservé au Musée du Louvre. Elle est représentée sous la forme d’une vache couchée dans une barque et dont la tête est surmontée d’une étoile. On trouve des images détaillées de cette oeuvre sur le site du Louvre :
http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-zodiaque-de-dendera
Le lever héliaque de Sirius-Sothis correspondait à peu près à la période de la crue du Nil. C’est pourquoi, il a servi de point d’ancrage au premier calendrier égyptien, qui était lunaire. Or le cycle de Sirius correspond presque à celui du soleil (avec 12 minutes de différence), alors que 12 mois lunaires correspondent à environ 354 jours. Ce faisant, les Egyptiens avaient enfermé le cycle lunaire dans un cycle quasi solaire, ce qui correspond un peu à la quadrature du cercle. Cela peut prêter à rire aujourd’hui. Mais souvenons-nous que les observations astronomiques les plus anciennes furent effectuées sans moyens fiables de mesure du temps, alors que nous avons tous une montre au bras ou une horloge sur notre téléphone. Il s’en suivit inélectablement, dans ce calendrier lunaire, un décalage qui augmenta avec le temps : les mois lunaires se déplacèrent dans la période solaire et, année après année, ils apparurent à des saisons différentes. Dans de nombreuses cultures, on a trouvé le moyen d’équilibrer le calendrier lunaire au moyen d’un mois intercalaire permettant de combler la différence. Les Egyptiens ont cherché la solution dans une autre direction. Probablement parce que, du fait de son état de civilisation déjà complexe, l’Etat était en train de s’organiser et de mettre en place sa bureaucratie. Il avait besoin d’un calendrier fixe, permettant par exemple de calculer le montant (en nature) des impôts. Un nouveau calendrier fut donc créé. Comme l’explique Hérodote :
Quant aux choses humaines, ils me dirent tous unanimement que les Égyptiens avaient inventé les premiers l’année, et qu’ils l’avaient distribuée en douze parties, d’après la connaissance qu’ils avaient des astres. Ils me paraissent en cela beaucoup plus habiles que les Grecs, qui, pour conserver l’ordre des saisons, ajoutent au commencement de la troisième année un mois intercalaire ; au lieu que les Égyptiens font chaque mois de trente jours, et que tous les ans ils ajoutent à leur année cinq jours surnuméraires, au moyen de quoi les saisons reviennent toujours au même point.
(Histoires, II, 4, Trad. du grec par Larcher, Paris : Charpentier, 1850.)
On retrouve les mois lunaires dont la durée a été fixée à 30 jours. Mais avec les jours intercalaires, l’année égyptienne dure 365 jours. Or la terre met exactement 365 et un quart de jour pour effectuer sa révolution autour du soleil. C’est ce temps que nous rattrapons le 29 février, une date qui apparaît lors des années bissextiles, tous les quatre ans.
Ce calendrier avait lui aussi démarré avec le lever héliaque de Sirius-Sothis, dont l’incidence devait correspondre au Nouvel An. Mais à cause du quart de jour manquant, le jour de l’An s’est peu à peu éloigné du lever héliaque de Sirius. En fait, il lui fallait 1460 ans (4 fois 365) pour retomber sur le lever héliaque de Sirius. Or on sait, par un texte de Censorin, un grammairien du 3ème siècle ap. J.-C. qu’en 139 de notre ère, le calendrier égyptien a connu une conjonction entre son Nouvel An et le lever héliaque de Sirius. La conjonction précédente a donc eu lieu en 1322 av. J.-C. et celle d’avant en 2782 av. J.-C., date qui correspond approximativement à l’introduction de ce calendrier solaire, à quelques années près probablement. Comme cette année ne se décalait que d’un quart de jour par année, il a fallu un certain temps pour qu’on le remarque. Il était trop tard pour changer quoi que ce soit, notamment du point de vue de l’administration. D’après un témoignage de l’astronome Géminos de Rhodes, le pharaon, au moment de monter sur le trône, devait prêter serment dans le temple d’Isis de ne jamais modifier le calendrier solaire, que l’on peut qualifier de civil. Il est difficile de savoir si cette histoire est véridique. Elle indique cependant la difficulté de réformer un calendrier en usage. Pour solutionner leurs problèmes, les Egyptiens ont donc préféré créer un second calendrier lunaire dans lequel ils intercalaient un mois chaque fois que le premier jour de l’année lunaire arrivait avant le premier jour de l’année civile. Ils ont donc vécu avec trois calendriers peut-être jusqu’à l’époque alexandrine et, au plus tard, jusqu’à la conquête romaine. A ce moment-là, c’est le calendrier julien qui fut imposé par l’occupant.
Si le lever héliaque de Sirius correspond à la période caniculaire, les soucis que le choix de ce phénomène astronomique comme point d’ancrage des divers calendriers égyptiens échauffent pas mal les esprits des chercheurs. Si notre étoile Sirius égyptienne fait des « Sothis », elle n’y peut rien. C’est dû avant tout à l’imprécision des mesures du temps qu’au phénomène céleste lui-même. Cela montre en tout cas que la mise en place de calendriers, basés sur la lune et/ou le soleil n’a pas été une sinécure pour les premières grandes civilisations. A force d’observations et de mesures, on a gagné en précision. Si l’Antiquité bricolait un peu avec des mois intercalaires, Jules César a inventé l’année bissextile. Des siècles plus tard, le pape Grégoire a supprimé une année bissextile tous les quatre cents ans pour gagner en précision (l’an 2000 n’était pas une année bissextile). Comme on n’arrête pas le progrès, le 30 juin 2015, c’est une seconde qui a été rajoutée. Mais là, on est à l’ère des horloges atomiques.
Références
Letronne, Nouvelles recherches sur le calendrier des anciens Egyptiens, sa nature, son histoire et son origine, Extrait du tome 24, 2ème partie, des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1863
Richard A. Parker, The Calendars of Ancient Egypt, Studies in Ancient Oriental Civilization, No. 26, The University of Chicago Press, Chicago, 1950
http://www.futura-sciences.com/magazines/espace/infos/dossiers/d/astronomie-calendriers-civilisations-antiques-27/page/5/