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Un jour, j’ai fait un voyage jusqu’à l’Ile des Pommes. Ce n’était pas un voyage fait avec un moyen de transport ordinaire. En effet, pendant la pandémie, j’ai eu l’occasion de faire une méditation guidée lors de la fête celte de Samhain (Halloween) sur Internet. La personne qui nous guidait a invité les participant.es à fermer les yeux et à imaginer qu’ils/elles montaient sur un bateau. La traversée était très calme et, après peu de temps, nous sommes arrivé.es sur une île. Dans cet endroit, nous pouvions rencontrer des âmes. Il pouvait s’agir des âmes de personnes que nous connaissions, d’ancêtres plus lointains ou encore de personnes sans liens avec nous. Nous pouvions avoir avec ces âmes des conversations apaisées. Au bout d’un certain temps, nous avons été invité.es à regagner le bateau et à retourner sur l’autre rive, où il fallait prononcer son prénom à haute voix et frapper trois fois dans ses mains pour revenir dans le monde réel.
À la suite de cette méditation, je me suis demandé ce qu’était cette Ile des Pommes. J’ai découvert alors qu’il s’agissait d’Avalon.
En effet, la pomme se dit « aval » en breton et en gallois et « aballos » en gaulois. Avalon est une île qui produit des fruits sans culture. « Aucun vent n’y souffle et la pluie, la neige et la grêle y sont inconnues[1] ». Elle est habitée par neuf femmes qui ont chacune des pouvoirs particuliers : l’art de guérir, la connaissance des plantes, mais aussi les mathématiques et la musique. Elles sont aussi capables de changer de former et de se déplacer en volant. La plus connue est la fée Morgane, la sœur du roi Arthur.
L’île d’Avalon est aussi la dernière demeure du roi Arthur. Lors de la bataille de Camlann (Salisbury), Arthur et le fils qu’il a eu avec Morgane, Mordred (ou Mordret), s’affrontent :
De toute la force que lui donne son élan, le roi vient le (Mordred) frapper si violemment que la pointe de sa lance lui transperce la poitrine (…). Lorsque Mordret se vit si gravement atteint, il ne douta pas que sa mort ne fût proche. Il abattit alors son épée sur le heaume d’Arthur qui ne résista pas à la violence du coup. La lame s’enfonça dans le crâne dont elle arracha un morceau. Assommé sous le choc, le roi Arthur tomba de cheval, tout comme Mordret. Trop grièvement touchés pour pouvoir se relever, ils restent étendus par terre, l’un à côté de l’autre. C’est ainsi que le père tua son fils et que le fils blessa mortellement son père[2].
Selon certaines versions, Arthur est emmené mort sur l’île d’Avalon. Selon d’autres, il s’y trouve dans un état entre la vie et la mort, prêt à revenir dans notre monde pour le sauver.
C’est cette seconde version que l’on trouve dans le roman « La mort du roi Arthur ». C’est un des compagnons d’Arthur qui observe la scène :
C’est alors qu’il vit arriver, fendant les flots, une nef avec de nombreuses dames à son bord ; quand le navire eut accosté, elles s’approchèrent du bastingage : celle qui était leur maîtresse – et qui tenait par la main la sœur du roi, Morgue – héla le roi et l’invita à monter à bord. Dès qu’il aperçut sa sœur, Arthur se leva de là où il était assis, prit ses armes et, tirant son cheval après lui, il embarqua[3].
Ainsi Avalon est un pays des morts dont la frontière avec celui des vivants est relativement ouverte et qui a un pouvoir de régénération. Il rappelle le jardin des Hespérides de la mythologie grecque. De plus, dans plusieurs cultures de l’Antiquité, la pomme symbolise l’immortalité.
Qui est le roi Arthur ?
On sait peu de choses du rôle du roi Arthur dans la mythologie celte. On rapproche son nom de la racine « art » qui, dans les langues celtes et indo-européennes, signifie l’ours. On retrouve cette même racine dans le nom de la déesse grecque Artémis (on peut penser au mythe de Callisto, transformée en ourse par Artémis) et dans celui d’une déesse celte dont le culte était présent dans le territoire actuel du quart nord-est de la Suisse, Artio. On retrouve Arthur dans plusieurs récits qui montrent qu’il était « un guerrier d’une nature surhumaine chassant des monstres et se rendant dans l’Autre-monde[4] ». On doit cependant constater qu’il n’a pas encore la stature qu’il aura dans les récits du Moyen-Âge.
Certains considèrent qu’Arthur était un personnage historique. Pour les uns, c’était un chef gallois qui aurait repoussé les Saxons au début du 6ème siècle[5]. Pour d’autres, Arthur aurait été un officier romain, Lucius Artorius Castus qui aurait conquis toute l’île de Bretagne[6]. Finalement, certains historiens essayent de concilier ces deux hypothèses en considérant qu’Arthur était un nom courant et que sa légende est née de l’amalgame de plusieurs personnages, historiques ou légendaires.
D’où vient donc la figure qui a nourrit la littérature médiévale et inspiré de si nombreux écrivains ? On la doit essentiellement à des auteurs du 12ème siècle. Geoffroy de Montmouth était un évêque gallois. Il a écrit, entre 1135 et 1138, une vie des rois de Bretagne (Vita Regum Britanniae[7]) dans laquelle il raconte le règne d’Arthur. Il nous apprend qu’Arthur succède à son père, Uther Pendragon, à l’âge de 15 ans (livre IX, chapitre 1) et qu’il avait pour arme une épée nommée Caliburn (Excalibur), fabriquée à Avalon (livre IX, chapitre 4). Il relate aussi qu’Arthur, blessé lors de la bataille de Camlann (d’abord située en Cornouailles et plus tard à Salisbury), a été transporté à Avalon :
Le célèbre roi Arthur lui-même fut blessé mortellement et, transporté sur l’île d’Avallon pour y être soigné, il céda la couronne de Grande-Bretagne à son parent Constantin, fils de Cador, duc de Cornouailles, dans la 542ème année de la naissance de notre Seigneur[8].
Le livre de Geoffroy de Montmouth connut un immense succès à l’époque. En effet, plus de 200 manuscrits de son ouvrage sont conservés.
Où se trouve Avalon, l’Ile des Pommes ?
On la situe le plus souvent à Glastonbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre. L’abbaye de Glastonbury, fondée au 8ème siècle, était l’une des plus prospères de l’île. En 1184, elle a été détruite par un grand incendie. Les moines ont entrepris sa reconstruction. Lors des travaux, en 1191, on « découvre » une tombe étonnante. Giraud de Barri, aumônier du roi Henri II Plantagenêt, relate cette découverte exceptionnelle :
Or ce corps, dont la légende prétendait qu’il avait disparu dans un pays de rêve sans avoir été atteint par la mort, ce corps, après avoir été révélé par des signes presque miraculeux, a été retrouvé de nos jours à Glastonbury, entre deux pyramides de pierre élevées jadis dans le cimetière […], et, solennellement transféré dans l’église, il y a été pieusement déposé dans un tombeau de marbre. « Une croix de plomb placée sur une pierre, non pas à l’endroit, mais à l’envers (je l’ai vue et j’en ai touché l’inscription, taillée non pas en relief, mais en creux, et tournée du côté de la pierre), disait : “Ici gît l’illustre roi Arthur, enseveli avec Guenneveria [Guenièvre], sa seconde femme, dans l’île d’Avallonie [Avalon].”[9]»
Cette « découverte » arrangeait les moines de Glastonbury dont l’abbaye gagnait en prestige et qui pouvaient attirer des dons pour financer sa reconstruction. Elle permettait également au roi Henri II Plantagenêt, en mal de reconnaissance, de s’appuyer désormais sur la légende arthurienne déjà popularisée par Geoffroy de Montmouth. La tombe sera conservée et embellie d’un mausolée de marbre. Elle subsistera jusqu’à la fermeture de l’abbaye, dans le cadre de la dissolution des monastères décidés par Henri VIII.
La légende veut aussi que Joseph d’Arimathie soit venu dans le sud-ouest de l’Angleterre avec la coupe dans laquelle il avait recueilli le sang du Christ en le descendant de la croix et en le mettant au tombeau. Il serait arrivé à Glastonbury et aurait enterré la coupe au pied du Tor[10].
Cette coupe est connue sous le nom de Saint Graal. On retrouve le lien entre le Graal et Joseph d’Arimathie déjà au 12ème siècle, dans les écrits de Robert de Boron, qui a entrepris de la christianiser les récits arthuriens.
C’est ainsi que Glastonbury est devenue la mystérieuse Avalon, l’Ile des Pommes. On peut parler d’île, car la ville est entourée de marais (aujourd’hui en grande partie asséchés). Aujourd’hui encore, elle est un centre spirituel (au sens large).
[1] A. Manguel, G. Guadalupi, Dictionnaire des lieux imaginaires, Actes Sud, 1998
[2] La mort du roi Arthur. Roman en prose du XIIIe siècle. Traduction par Micheline de COMBARIEU du GRES d’après l’édition établie par Jean FRAPPIER (Librairie Champion, Paris). https://sites-recherche.univ-rennes2.fr/cetm/combarieu/LMA.htm
[3] Ibidem
[4] Miranda J. Green, Dictionnary of Celtic Myth and Legend, Thames and Hudson, 1992
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Roi_Arthur
[6] Kemp Malone, « Artorius », Modern Philology, 22, 1925, p. 367-377
[7] https://www.yorku.ca/inpar/
[8] Livre IX, chapitre 1
[9] Amaury Chauou, « On a découvert la tombe du roi Arthur ! », Les Collections de l’Histoire N°59
[10] Sharon Jacksties, Somerset Folk Tales, 2012