Chut ! Notre princesse est endormie. Et pour un bon moment ! Cela nous donne le temps de nous interroger sur la nature de son sommeil et de nous demander de quelle manière elle se réveille. Le baiser du prince charmant est dans toutes les mémoires. Pourtant il est n’est pas déposé sur ses lèvres délicates dans toutes les versions. Parfois le prince attend sagement au pied du lit. Dans certains cas, il ne se contente pas d’un simple baiser.
La durée du sommeil
Chez les frères Grimm et chez Perreault, la durée de la période de sommeil est fixée à cent ans par la fée qui adoucit le sort réservé à la princesse. Cent ans, cela correspond à environ trois générations. Un siècle peut aussi signifier une très longue durée. A part dans la version médiévale, la Belle endormie se réveille dans un environnement très différent. Elle ne connaît plus personne et n’est plus connue de personne, hormis les occupants du palais. Perreault précise que le prince qui vient assister à son réveil est du pays, mais d’une autre famille. Il ne faudrait pas qu’on pense qu’elle épouse un arrière-petit neveu. Et le monde a certainement bien changé. Perreault s’amuse par exemple de tout ce qui est passé de mode aux yeux du prince :
Le Prince aida la Princesse à se lever ; elle était toute habillée, et fort magnifiquement ; mais il se garda bien de lui dire qu’elle était habillée comme sa mère-grand, et qu’elle avait un collet monté ; elle n’en était pas moins belle. Ils passèrent dans un Salon de miroirs, et y soupèrent, servis par les Officiers de la Princesse ; les Violons et les Hautbois jouèrent de vieilles pièces, mais excellentes, quoiqu’il y eût près de cent ans qu’on ne les jouât plus.
Dans les plus anciennes versions, aucune durée n’est fixée pour le long sommeil. Dans le roman médiéval, Zellandine se réveille même au milieu de ses proches, preuve que la période d’endormissement n’a pas été très longue. Dans la version italienne, il est impossible d’estimer le temps entre l’entrée dans le sommeil et l’arrivée d’un roi qui passait par là.
L’installation
Le sommeil de la Belle au bois dormant n’est cependant pas ordinaire. Il n’a rien d’une bonne nuit réparatrice ou d’une sieste. Le sommeil de Zellandine est décrit comme une léthargie. Elle ne mange pas, bien que son teint n’en soit pas altéré. Son père, le roi Zelland, charge des médecins de la tirer de cet état. Les hommes de l’art s’ en révèlent incapables et ils finissent par conseiller au souverain d’installer sa fille au haut d’une tour isolée. La mort dans l’âme, le roi s’exécute. Zellandine est déposée sur un lit magnifique. Seul le roi et sa sœur, la tante de la princesse, peuvent lui rendre visite. Dans la version italienne, le roi, « fit alors porter sa fille dans un château qu’il avait à la campagne, et l’assit sur un siège de velours, sous un dais de brocart ; après quoi il ferma les portes et, à cause d’une si grande perte, afin d’oublier à tout jamais son infortune, il abandonna pour toujours ce palais. »
Chez Grimm, tout le palais, y compris le roi et la reine, sombre dans le sommeil en même temps que la princesse. Celle-ci tombe sur un lit qui se trouvait dans la petite chambre dans laquelle la vieille femme filait. Chez Perrault, le roi fait transporter la princesse « dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d’or et d’argent ». A part chez les frères Grimm, la mise en scène du réveil est donc soignée. On attend bien un prince au réveil de la jeune femme et l’on souhaite qu’il en devienne éperdument amoureux.
John Collier (1850–1934), La Belle au bois dormant, 1921 (Wikimedia Commons)
Contrairement aux deux versions anciennes, chez Perreault et Grimm, tout le palais s’endort. Chez Perreault, c’est même la fée qui a adouci le sortilège initial, qui en suggère l’idée au roi, voulant éviter que la princesse ne se retrouve seule à son réveil. Voilà ce qu’elle fait :
Elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce Château (hors le roi et la reine) : Gouvernantes, Filles d’Honneur, Femmes de Chambre, Gentilshommes, Officiers, Maîtres d’Hôtel, Cuisiniers, Marmitons, Galopins, Gardes, Suisses, Pages, Valets de pied ; elle toucha aussi tous les chevaux qui étaient dans les Ecuries, avec les Palefreniers, les gros mâtins de la basse-cour, et la petite Pouffe, petite chienne de la Princesse, qui était auprès d’elle sur son lit. Dès qu’elle les eût touchés, ils s’endormirent tous, pour ne se réveiller qu’en même temps que leur Maîtresse, afin d’être tout prêts à la servir quand elle en aurait besoin ; les broches mêmes qui étaient au feu, toutes pleines de perdrix et de faisans, s’endormirent, et le feu aussi. Tout cela se fit en un moment : les Fées n’étaient pas longues à leur besogne.
Fait intéressant chez Perreault, le roi et la reine choisissent de quitter le palais et de continuer à gouverner leur royaume à partir d’un autre château. Il faut aussi éviter que des intrus viennent troubler la quiétude des lieux et éventuellement le piller, même si aucun auteur ne songe à ce détail. Dans la version médiévale, les ouvertures de la tour, à l’exception de la tour, sont murées. Dans le récit italien, c’est l’isolement du château qui garantit la tranquillité de la princesse. Chez Grimm et Perreault, une haie de ronces et d’épines infranchissable pousse rapidement tout autour du château.
Cette haie d’épine explique peut-être le nom du conte dans le recueil des frères Grimm: Rose d’épine, Rose étant le prénom de la princesse. Mais il pourrait s’agir d’une autre épine. Dans la mythologie nordique, Brunhilde (dans la Volsunga Saga, elle s’appelle Brynhild) a désobéi à Odin. Ce dernier a décidé de la punir. Lorsqu’une Valkyrie désobéissante est punie, elle est également dégradée et elle doit se marier. Pour mettre en œuvre son châtiment, Odin pique Brunhilde avec l’épine du sommeil (svefnþorn, sleep thorn). Il place la Valkyrie endormie au centre d’une muraille de feu que seul un héros qui ne connaît pas la peur peut franchir. Ce sera Siegfried (Sigurd). Lorsque le héros traverse la barrière de flammes, il ouvre la cote de maille (broigne) de Brunhilde avec son épée, ce qui la sort du sommeil. Méthode de réveil un peu cavalière ! La Valkyrie donne alors à son héros des préceptes de sagesse. Finalement tous deux échangent de grands serments : plus tard, ils se marieront. S’ensuivent de nombreuses péripéties. Finalement Siegfried en épousera une autre et Brunhilde se donnera la mort. Les frères Grimm connaissaient bien entendu ce récit et le mentionnent dans leurs commentaires. Et Wagner mettra le drame en musique. Dans le Ring, Siegfried réveille Brunhilde en l’embrassant.
Charles Ernest Butler (1864-1933), Siegfried et Brunnhilde, 1909 (Wikimedia Commons)
Une fois le palais endormi, toutes sortes de récits naissent autour de ce palais et de ses occupants. Si les frères Grimm évoquent la légende la Belle au bois dormant qui commence à courir dans tout le pays, Perreault rend compte de diverses rumeurs : le château est hanté, les sorcières célèbrent leurs sabbats dans ce lieu où, selon l’opinion la plus commune, un ogre mangeur d’enfants demeure.
Un sommeil de mort
Revenons au sommeil dans lequel le palais de la Belle au bois dormant est plongé. Il s’agit bien entendu d’un sommeil magique. Non seulement hommes et animaux restent dans la position où le sommeil les a trouvés, mais les aliments des cuisines ne subissent aucune putréfaction. En effet, on imagine mal à quoi pourrait ressembler la poule qu’on a commencé à plumer ou le morceau de viande qu’on s’apprête à cuire une centaine d’années plus tard. Et apparemment la poussière ne semble pas se déposer sur le sol et les meubles. Seule la végétation continue à pousser et envahit tout. Le sommeil est un état qui présente des similitudes avec la mort. Ainsi dans la mythologie grecque, Sommeil (Hypnos) et Mort (Thanatos) sont frères. Le palais, pendant sa période de torpeur, semble faire partie de l’Autre monde. C’est en tout cas ainsi que le comprend la poétesse neuchâteloise Alice de Chambrier dans son poème La Belle au bois dormant (Au delà, 1886) :
Un étrange sourire erre encor sur sa bouche,
Ses longs cils abaissés ombrent légèrement
Ce visage si pur et que la mort farouche
Semble avoir en son vol effleuré seulement.
Elle a joint sur son cœur ses mains fines et blanches
Et semble une statue en marbre précieux ;
Sa description de la princesse endormie ressemble plutôt à celle d’un gisant de marbre représentant une souveraine morte.
Victor Gilbert (1847-1933), Repos, vers 1890 (Wikimedia Commons)
Un simple baiser ?
Comment le long sommeil de la Belle au bois dormant est-il interrompu ? Est-ce que les effets du sommeil s’estompent après cent ans ou est-ce le baiser du prince qui provoque le réveil de la princesse ? En vérité, ce doux poutou n’apparaît que dans le récit des frères Grimm. Chez Perrault, on n’en trouve aucune trace. Le prince s’agenouille près du lit de la princesse pour assister à son réveil. La jeune fille, en le voyant, se contente de lui dire : « Est-ce vous mon prince ? Vous vous êtes bien fait attendre ! » Le prince, qui a l’air un peu pataud, bredouille quelques mots. Heureusement il est sauvé par l’arrivée d’une dame d’honneur qui vient annoncer à la princesse que le repas est servi. Car le château se réveille et les activités ont repris comme si de rien n’était. Mais le prince et la princesse sont trop préoccupés par leur amour pour penser à manger. Après le concert et le souper, on les marie sans autre forme de procès. Le baiser n’est pas forcément l’élément qui réveille la Belle endormie. On peut tout à fait imaginer que l’arrivée du prince au terme exact des cent ans fait partie du scénario initial prévu par l’enchantement de la gentille fée.
Dans les versions anciennes, on assiste à une scène très différente qui laisse penser qu’un baiser ne suffit pas à réveiller une belle qui dort. La contemplation de la princesse endormie inspire au prince un puissant désir qu’un seul baiser ne pourra satisfaire. Le Roman de Perceforest est on ne peut plus clair :
Emu par sa beauté et encouragé par Amour, il (Troïlus) ne peut se retenir de lui donner un premier baiser, qui rehausse légèrement les couleurs de son visage. D’autres baisers suivent, de plus en plus enflammés. Cédant enfin aux sollicitations pressantes de Vénus, il se déshabille et entre dans le lit. Aiguilloné par le désir, il se conforme si bien aux prescriptions de la déesse que la jeune fille perd « par droit le nom de pucelle » en exhalant, sans bouger ni sortir de son sommeil, un profond soupir. Le messager apparaît alors à la fenêtre. Troïlus glisse au doigt de Zellandine un anneau qu’elle lui a autrefois donné et il passe au sien l’anneau de la jeune fille. Il embrasse une dernière fois sa belle, puis il rejoint le messager qui l’appelle.
Gilles Roussineau, Le Roman de Perceforest. Troisième Partie, Librairie Droz, 1 août 1993, p. xxxv-xxxvi
Vénus joue le rôle de la bonne fée qui veut adoucir le sortilège de Thémis. C’est elle qui a aidé Troïlus à parvenir jusque dans le château et qui aiguillonne son désir. Cette étreinte ne trouble cependant pas le sommeil de la princesse, même si le texte laisse entendre qu’elle en éprouvat quelque plaisir. Son état de somnolence ne la quittera même pas dans les affres de l’accouchement, quand Zellandine met au monde un fils, neuf mois plus tard. L’enfant a un instinct de survie très fort. Il veut téter sa mère, mais il ne parvient à atteindre que son doigt. Il se met à le sucer frénétiquement. Sous l’effet de la succion active du petiot, le fil de lin prisonnier de la peau de la jeune femme sort, mettant fin à l’enchantement. Zellandine s’éveille enfin. On imagine bien quel fut son étonnement de trouver un nourrisson dans son lit. Dans la version italienne de Giambattista Basile, ce n’est pas un prince en quête de fiancée, mais un roi déjà marié, qui rend visite à Thalie. Il est en train de chasser dans les alentours du palais, lorsque son faucon s’échappe et va se loger dans la tour. Il frappe d’abord à la porte du château. N’obtenant aucune réponse, il fait apporter une grande échelle et grimpe lui-même jusqu’à la fenêtre pour récupérer son volatile indocile. Il erre dans le château abandonné et finit par trouver la salle où la princesse est assise, sous son dais. Le roi essaie de la réveiller, mais rien n’y fait. Devant la beauté de Thalie, il ne résiste pas lui non plus à la tentation de la posséder. Comme elle est assise sur un trône, le roi la porte lui-même sur un lit. Mais l’étreinte royale ne perturbe en rien la belle endormie. Comme Zellandine, c’est dans un profond sommeil qu’elle enfante, neuf mois plus tard, de deux adorables jumeaux, qui seront appelés Soleil et Lune. Les bébés affamés attrapent ses doigts et l’un deux la libère du sortilège en retirant le brin de lin. Thalie est aussi bien surprise de se retrouver dans ce château avec ses jumeaux, ignorant même qui lui apporte à manger. Quant au roi, dans un premier temps, il a oublié sa petite aventure. Il n’y repensera que plus tard.
Si on revient à l’épine du sommeil de la mythologie nordique, elle peut endormir pour une période indéterminée ou alors la personne ne se réveille que lorsque l’épine est ôtée (Définition de svefnthorn en anglais). Elle correspond à l’une et à l’autre version du réveil : un réveil après une certaine période ou alors le corps étranger qui, d’une manière ou d’une autre, ressort de l’épiderme.
Le thème de l’union avec un être endormi, on le retrouve dans la mythologie grecque. Ainsi Zeus accorde un vœu à Endymion, aimé de l’Aurore. Il demande à dormir pour toujours. L’Aurore ne peut que le regarder en pleurant maintenant. Quant à Antiope, elle est prise dans son sommeil par Zeus, qui en profite pour lui faire deux jumeaux. Pour l’occasion, il s’est transformé en satyre, ce qui change des cygnes et autres taureaux. Ce choix ne doit rien au hasard, l’occupation favorite des satyres étant de surprendre des Bacchantes endormies dans les buissons.
Nicolas Poussin (1594–1665), Jupiter and Antiope
En revenant au Moyen-Âge, comment ne pas penser aux incubes et aux succubes, ces démons nés de l’imagination médiévale censés visiter, au sens charnel du terme, les humains, hommes et femmes, dans leur sommeil ? Avant que les savants découvrent le rôle des hormones dans le comportement humain, on avait un peu de la peine à expliquer des ébats solitaires nocturnes alors que le sujet était plongé dans le sommeil et ne pouvait donc pas être soupçonné d’avoir activé lui-même le débordement de fluides corporels. Il fallait donc trouver une raison à ce mystère profond. Au Moyen-Âge, considérait toute perte séminale comme un péché digne des pires châtiments infernaux. A cette époque, on avait tendance à interpréter toute inclination au mal comme étant l’effet du Démon. Répandre le mal dans l’humanité était un travail plutôt exténuant et Belzébuth, l’un de ses nombreux noms, ne suffisait pas à la tâche, ce d’autant plus que parmi les vices qu’il cultivait lui-même, la paresse figurait tout en haut de la liste. Le grand Satan se faisait donc aider d’une multitude de petits diables qui avaient chacun sa spécialité. Mais parmi tous ces démons, il y en avait deux catégories qui remplissaient un rôle tout à fait particulier. Et pas de jaloux : il y avait une catégorie pour Monsieur et une pour Madame. Il s’agit des incubes et des succubes. Un peu de latin de cuisine, ça ne fait pas de mal et ça nous permettra de comprendre aisément comment ces petits monstres s’y prenaient pour abuser des braves gens dans la quiétude de la nuit. La racine –cube vient du verbe latin cubare qui signifie coucher. C’est assez normal, car ces démons agissent pendant le sommeil. Venons-en aux deux préfixes, assez aisés à comprendre. Le préfixe « in » est une préposition indiquant le mouvement vers ou dans quelque chose. L’incube est donc un démon mâle dont les assauts portent d’abord sur les dames endormies dans leur lit. Le préfixe « sub (suc) » est une préposition signifiant « sous ». Le succube s’avère être un démon femelle qui s’attaque surtout aux messieurs en les chevauchant traitreusement pendant qu’ils dorment. Et voilà comment d’innocentes proies en venaient à être possédées perfidement par ces ignobles démons. Heureusement que la science est venue au secours de l’humanité pour expliquer que certains petits débordements n’étaient pas bien graves.
Eugène Thivier (1845-1920), Le Cauchemar, 1894, Musée des Augustins de Toulouse (Wikimedia Commons)
Du reste l’amour physique n’est-il pas, comme le sommeil, assimilé à la mort ? L’expression petite mort désigne parfois le plaisir amoureux. Le sommeil est bien souvent une conséquence du plaisir amoureux. Dans l’Iliade (Chants 14 et 15), un épisode fameux montre comment Héra trompe la vigilance de Zeus en le séduisant, puis en le plongeant dans le sommeil. On est en pleine guerre de Troie. Héra veut favoriser son camp, celui des Grecs, alors que les Troyens gagnent du terrain sous les yeux bienveillant de Zeus, faussement impartial. Pour cela, elle doit absolument l’éloigner de son poste d’observation. Elle se pomponne, met une robe seyante et va même chez Aphrodite pour lui emprunter une sorte de soutien-gorge qui rend irrésistible. Elle s’assure ensuite la complicité d’Hypnos, en lui promettant la main d’une nymphe, afin qu’il plonge le roi des dieux dans le sommeil sitôt son affaire faite. Héra se rend en sur le mont Ida d’où Zeus regarde le spectacle de la guerre. Elle est accompagnée d’Hypnos qui se cache dans un sapin en attendant le moment d’agir. En la voyant, le père des dieux et des hommes n’en revient pas. Mais Héra fait mine de s’en aller, prétendant se rendre chez ses parents pour mettre fin à leurs incessantes scènes de ménage. Zeus insiste. Devant l’hésitation de sa moitié à se livrer à des ébats en pleine nature, il suscite une nuée pour que tous deux soient à l’abri des regards indiscrets. Après le repos du guerrier et sous l’action bienveillante d’Hypnos, Zeus s’endort, permettant ainsi aux Grecs de reprendre la main. Cela n’étonnera personne : à son réveil, Zeus est plutôt remonté contre Héra.
James Barry (1741–1806), Jupiter et Junon sur le mont Ida, entre 1790 et 1799 (Wikimedia Commons)
Et si la princesse ne voulait pas se réveiller
Finalement le sommeil de la Belle au bois dormant se révèle bien plus agité qu’il n’y paraît. Et peut-être plus intéressant qu’un état de veille. C’est en tout cas ce que l’écrivain Catulle Mendès suggère en composant sa propre version intitulée la Belle au bois rêvant (http://visualiseur.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91273t). La princesse réveillée par le baiser du prince demande à ce dernier quelle vie elle aura si elle le suit. Il lui promet un rang de reine, un peuple qui l’acclame, un palais magnifique, de somptueuses toilettes, des pages et des femmes de chambre, des repas raffinés et tout son amour. La princesse réfléchit un instant et elle lui fait cette réponse :
Je dors depuis un siècle, c’est vrai, mais, depuis un siècle, je rêve. Je suis reine aussi, dans mes songes, et de quel divin royaume ! Mon palais a des murs de lumière ; j’ai pour courtisans des anges qui me célèbrent en des musiques d’une douceur infinie, je marche sur des jonchées d’étoiles. Si vous saviez de quelles belles robes je m’habille, et les fruits sans pareils que l’on met sur ma table, et les vins de miel où je trempe mes lèvres ! Pour ce qui est de l’amour, croyez bien qu’il ne me fait pas défaut ; car je suis adorée par un époux plus beau que tous les princes du monde et fidèle depuis cent ans. Tout bien considéré, monseigneur, je crois que je ne gagnerais rien à sortir de mon enchantement ; je vous prie de me laisser dormir.
Textes
Gilles Roussineau, Le Roman de Perceforest. Troisième Partie, Librairie Droz, 1993
Rose-Epine, in Contes pour les enfants et la maison collectés par les Frères Grimm, Edités et traduits par Natacha Rimasson-Fertin, Editions José Corti, Paris, T. 1, p. 280-286
La Belle au bois dormant, in Perreault, Contes. Edition présentée, établie et annotée par Jean-Pierre Collinet, Gallimard, Paris, 1981
Giambattista Basile, Le Soleil, la Lune et Thalie (Sole, luna e Talia), Pentamerone, journée v, conte 5, Wikisource (https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Contes_de_ma_mère_l’Oye_avant_Perrault/Le_Soleil,_la_Lune_et_Thalie)