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On a beau relire les récits bibliques, passer en revue les stations du chemin de croix, on ne trouve pas de trace ni de lièvres, ni de lapins autour des célébrations pascales. Ni des oeufs teints, ni même du fameux voyage des cloches à Rome. Force est de supposer que l’imagerie de Pâques que nos chers marchands de chocolat nous imposent, à nous et à nos enfants vient d’ailleurs.

La fête chrétienne de Pâques est célébrée dès le 2ème siècle de notre ère. Lors du premier concile de Nicée en 325, on a décidé qu’elle serait fixée le dimanche qui suit la première pleine lune qui suit  le 21 mars, jour de l’équinoxe de printemps. Ce jour-là, le soleil se lève très précisément à l’Est. D’après le calendrier, cette fête est donc liée au retour du printemps.

La fête de Pâques est fixée, comme on l’a vu, d’après le calendrier lunaire. Le lièvre et le lapin sont des animaux liés à la lune. Dans plusieurs cultures, notamment en Chine et en Amérique centrale, on croit voir un lapin dans la lune. Une fameuse comptine en français rappelle aussi ce motif :

« J’ai vu dans la lune
Trois petits lapins
Qui mangeaient des prunes
Au fond du jardin,
La pipe à la bouche,
Le verre à la main,
En disant : « Mesdames !
Servez-nous du vin ! »

Les oeufs sont un symbole de la germination et de la vie qui va naître. De plus, parce que la consommation des oeufs était interdite pendant le Carême, il fallait les cuire afin de les conserver. On s’est mis à les teindre en attendant le jour de Pâques. Quant à la tradition du lapin de Pâques qui apporte lui-même des oeufs teints de toutes les couleurs, elle est attestée en Allemagne et cela dès le 17ème siècle (Franck von Franckenau, De Ovis Paschalibvs, Heidelberg, 1682, chapitre 9,http://digital.wlb-stuttgart.de/purl/bsz335589634), mais elle est probablement plus ancienne.

Le lièvre ou le lapin apparaît dans les folklores du monde entier et donne lieu à de nombreuses croyances. Sa prolixité légendaire en a fait un des symboles de la fertilité printanière. Déjà Aristote notait cette fécondité hors du commun :

Les lièvres s’accouplent et donnent naissance en toute saison, et les femelles sont sujette à une nouvelle conception lorsqu’elle sont en état de gestation et elles donnent naissance une fois par mois.

(Aristote, Histoire des animaux, VI, 33, traduction Janine Bertier, Paris, 1994)

Il est effectivement attesté que la femelle du lièvre a deux matrices et qu’elle peut procréer en superfétation. Cela signifie qu’elle peut mener deux grossesses de front à deux stades différents. Dans les faits, elle a deux à trois portées par an. Voilà qui explique l’expression « se reproduire comme des lapins ».

En Grèce ancienne, le lièvre est un puissant symbole érotique, mais il le doit plus à son rôle de gibier. La chasse est en quelque sorte la métaphore de la séduction. On connaît de nombreuses représentations sur vase où un prétendant offre un lièvre à l’objet de son désir.

Éros volant au lièvre. Olpè à figues noires, début Ve siècle av. J.-C., Musées du Capitole, Source/Photographe : Marie-Lan Nguyen (2011) (Wikimedia Commons)

Éros volant au lièvre. Olpè à figues noires, début Ve siècle av. J.-C., Musées du Capitole, Source/Photographe : Marie-Lan Nguyen (2011) (Wikimedia Commons)

(Voir A. Schnapp, Eros en chasse, in La Cité des images: religion et société en Grèce antique, Université de Lausanne. Institut d’archéologie et d’histoire ancienne, Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes (France), Fernand Nathan, 1984)

Dans le monde anglo-saxon a surgi l’idée d’une déesse qui aurait présidé aux célébrations du printemps et qui avait un lien avec le lièvre. Tout est né d’une mention d’un moine et érudit anglo-saxon qui a vécu entre les 7ème et 8ème siècles de notre ère, Bède le Vénérable. Dans un ouvrage intitulé De Temporum Ratione (chapitre 15), dont le thème est justement la fixation de la fête de Pâques, il mentionne les mois du calendrier saxon. Avril correspond au mois d’Eostre. Le savant précise que ce mois, qui correspond à la fête de Pâques, porte le nom d’une antique déesse saxonne dont on célébrait une fête durant cette période et que c’est pour cette raison que Pâques a pris son nom. En effet, en anglais, Pâques se dit Easter. Ce terme rappelle également le nom du point cardinal oriental, justement celui que le soleil indique à l’équinoxe de printemps.

Cette mention de Bède le Vénérable est tout ce que l’on possède à propos de cette déesse. Beaucoup plus tard, en 1835, Jakob Grimm reconstruit, sur cette base, une déesse germanique appelée Ostara. Il en fait une déesse de la lumière, de l’aube, rappelant l’Eos des Grecs. Bien entendu, ce profil divin s’adapte facilement à l’idée de la résurrection.

Johannes Gehrts (1855–1921), « Ostara" (création: 1884. Publication :1901)  (Wikimedia Commons)

Johannes Gehrts (1855–1921), « Ostara » (création: 1884. Publication :1901) (Wikimedia Commons)

Comme la coutume du lièvre de Pâques est à l’origine originaire plutôt du nord de l’Europe, il était tentant de lier cet animal au culte de la déesse Eostre ou Ostara. Plusieurs auteurs sautent le pas. Mais les indices sont très faibles, voire inexistants. Il s’agit peut-être d’une confusion avec la déesse scandinave de l’amour Freyja (plutôt Vénus qu’Aurora) dont le char est tiré par des chats, animaux supposés aussi lubriques et prolixes que les lièvres.

Nils Blommér (1816–1853), Freja Seeking her Husband, 1852, Nationalmuseum Stockholm  (Wikimedia Commons)

Nils Blommér (1816–1853), Freja Seeking her Husband, 1852, Nationalmuseum Stockholm (Wikimedia Commons)

Malgré une absence d’informations attestées, ou peut-être grâce à cela, la déesse Eostre ou Ostara est devenue populaire, notamment dans le mouvement néo-paganiste qui la célèbre comme il se doit à l’équinoxe de printemps. Force cependant est de constater qu’aucune preuve ne nous permet d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’une déesse au lièvre symbolisant le retour du printemps et la fertilité. C’est donc en toute indépendance que, de nos jours, le lièvre de Pâques délivre ses oeufs colorés dans les petits nids préparés à cet effet par les enfants.

Pourtant l’association entre lièvre et femme existe dans l’art. On peut mentionner la Vierge au Lapin du Titien.

Le Titien, La Vierge au Lapin, 1530, Louvre   (Wikimedia Commons)

Le Titien, La Vierge au Lapin, 1530, Louvre   (Wikimedia Commons)

Il s’agit d’une scène de repos qui appartient peut-être au thème de la fuite en Egypte. Marie caresse d’une main l’enfant Jésus qui se tient dans les bras de Sainte Catherine. De l’autre main, elle tient un lapin est blanc. Il symbolise ici soit la pureté, soit peut-être une préfiguration de la résurrection du Christ.

Dans un registre totalement différent, l’artiste vénitienne Rosalba Carriera (1675 – 1757), grande spécialiste du pastel et excellant dans le portrait féminin, a réalisé une allégorie des quatre saisons. Etonnamment c’est l’automne qu’elle illustre par une femme serrant sur sa gorge un petit lièvre à l’oeil tout brillant devant son petit téton. La présence de raisins dans l’arrière-fond ne laisse en tout cas aucun doute sur la saison.

Rosalba Carriera (1675–1757), Les 4 saisons : l’automne  (Wikimedia Commons)

Rosalba Carriera (1675–1757), Les 4 saisons : l’automne (Wikimedia Commons)

Rosalba Carriera (1675–1757), Les 4 saisons: l’automne (gravure)

Rosalba Carriera (1675–1757), Les 4 saisons: l’automne (gravure)

Finalement s’il avait fallu choisir une image pour illustrer la déesse Eostre, sans hésitation, c’est celle-là que j’aurais choisie.