Pourquoi la lune décroît et croît ?

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Cette histoire, tirée de la mythologie hindoue et légèrement adaptée, évoque le cycle lunaire.

Chandra est né de l’écume de la mer de lait. Voilà pourquoi il est d’une blancheur éclatante. Chandra, c’est la lune, le dieu hindou de la lune. Et en Inde, la lune, c’est une divinité masculine.

Sitôt né, il est tombé du haut du ciel. C’est Brahma qui le retient et le fait tomber sur un char tiré par mille chevaux. Sur son char, Chandra traverse le ciel. Et à mesure qu’il éclaire le monde de sa clarté, les plantes naissent et poussent. Brahma le fait roi des plantes et des eaux.

Chandra est très heureux de traverser le ciel pendant la nuit. Sa lumière resplendit dans l’obscurité. Les plantes trouvent en lui l’énergie pour croître. Mais il se sent seul, très seul. La nuit, le monde n’est pas très drôle. Il n’y a personne. Tout le monde dort. Seuls quelques illuminés s’amusent à suivre son parcours.

Chandra se dit qu’il pourrait se marier. Il va donc trouver un autre dieu, Daksa, qui a de nombreuses filles. Daksa, c’est le dieu du rituel. Il est donc très à cheval sur les principes. Il écoute la demande de Chandra et il l’accepte, en posant ses conditions.

• Je peux t’envoyer quelques unes de mes filles pour te tenir compagnie.
• Mille mercis, Daksa.
• Pas si vite. Il y a une condition. Tu dois me promettre de prendre soin de mes filles.
• Je le promets !
• Pas comme ça ! Je veux un vrai serment. Je suis le maître des rituels après tout.

Daksa prépare une coupe qu’il remplit de soma, une boisson tirée du suc d’herbes magiques, qui donne aux dieux l’immortalité.

• Chandra, promets-tu sur cette coupe de soma de t’occuper de chacune de mes filles de manière égale, comme doit le faire un époux ? Si tu manques à ta promesse, tu devras en subir les conséquences.

Chandra promet sans trop réfléchir. En effet, il pensait que Daksa enverrait une, deux ou trois de ses filles le rejoindre. Mais quand il rejoint le ciel nocturne, il voit venir pas moins de vingt-huit filles. Vingt-huit. Ça change tout ! Mais Chandra avait promis et il devait honorer sa promesse.

Les filles de Daksa sont plutôt jolies. Chacune d’elle porte une robe magnifique décorée d’étoiles. Les filles de Daksa, ce sont les Naksatras, les constellations : Radha, la Balance, Hasta, le Corbeau, Pusya, le Cancer, Aslesas, l’Hydre, et ainsi de suite.

Luis Ricardo Falero (1851–1896), L’étoile double, 1881, The Metropolitan Museum of Art

Chandra se met à l’ouvrage avec bravoure. Du coup, il se s’ennuie plus. Au contraire, il est très occupé. Dîner aux chandelles avec Radha, un flirt avec Hasta, de gros câlins avec Pusya. Le temps passe plutôt agréablement. Jusqu’au jour où il rencontre Rohini, la rousse. Rohini avait sur sa robe, au-dessus de l’épaule, une étoile plus brillante que les autres. Cette étoile avait une couleur rouge, ce qui la rendait particulièrement désirable.

Chandra a un coup de foudre pour Rohini. À ses yeux, toutes les autres étoiles pâlissent d’un coup. Une fois dans ses bras, il ne veut plus la quitter. Et il délaisse ses autres épouses.

Evidemment les sœurs de Rohini éprouvent une grande jalousie envers elle. Elles se sentent abandonnées dans l’immensité céleste, tandis que Rohini a Chandra pour elle toute seule.

• Mais qu’est-ce que notre sœur Rohini a de plus que nous ?

Les Naksatras décident donc de retourner chez leur père, Daksa, pour se plaindre de la négligence de leur époux.

Voilà qui met Daksa en colère. Comme je vous l’ai dit, il est très à cheval sur les principes. Il fait venir son gendre et lui remonte les bretelles vertement.

• C’est comme ça que tu me remercies ? Je t’ai donné vingt-huit épouses. Tu dois toutes les honorer de manière égale. Tu me l’as promis solennellement.

Chandra n’a pas d’autre choix. Il doit bien s’y remettre. Dîner aux chandelles avec Radha, un flirt avec Hasta, de gros câlins avec Pusya. Ce n’est pas si désagréable. Jusqu’au jour où il retrouve sa chère Rohini. Une fois retombé dans ses bras, il ne peut se résoudre à la quitter. Il laisse à nouveau tomber ses autres épouses.

Luis Ricardo Falero (1851–1896), La Balance du Zodiaque

La jalousie et la colère grandissent encore plus dans le cœur des sœurs de Rohini. Les Naksatras retournent à nouveau auprès de leur père pour se plaindre. Daksa entre dans une grande colère et avertit son gendre :

• Une promesse est une promesse, Chandra. Tu dois t’occuper de chacune de tes épouses de manière égale. Si tu ne le fais pas, je te maudirai et je te punirai. Ta clarté, dont tu es si fier, disparaîtra par petits bouts et tu finiras par devenir invisible.

Chandra prend peur. Il recommence à parcourir le ciel, en s’arrêtant auprès de ses différentes épouses. Dîner aux chandelles avec Radha, un flirt avec Hasta, de gros câlins avec Pusya. Il y a pire comme occupation. Mais quand il arrive chez Rohini, il ne peut se résoudre à en repartir.

Les sœurs de Rohini dénoncent à nouveau l’attitude de Chandra à leur père. Et Daksa met sa menace à exécution, sans même prévenir son gendre.

Peu de temps après, Chandra remarque qu’un peu de sa lumière a disparu. Comme si on avait effacé un croissant tout fin sur le bord de son cercle. Ça ne se remarque pas encore trop. Mais quelques nuits plus tard, il n’a plus que la moitié de son orbe. Et dans les jours qui suivent, il continue à diminuer. La malédiction de Daksa est en train de s’accomplir.

Chandra répand de moins en moins de lumière et cela a des conséquences inattendues. Le pouvoir de sa lumière faisait croître les plantes et maintenant les plantes ne poussent plus. Pire encore, elles dépérissent. Sur terre, les hommes s’inquiètent. S’il n’y a plus de plantes, comment pourront-ils se nourrir, se soigner ou pratiquer des rituels magiques, afin d’appeler les dieux à leur aide. Dans le ciel, les dieux s’inquiètent aussi. Si les humains disparaissent, qui les honorera ?

Les dieux décident alors de former une délégation pour aller parler à Daksa. Le dieu est inflexible, comme chacun sait. Il ne sera pas facile à convaincre.

• Daksa, ta malédiction met en péril l’univers entier. Les hommes pourraient tous mourir et plus personne ne nous rendra un culte.
• J’ai maudit Chandra parce qu’il n’a pas respecté ses épouses, mes filles.
• Nous le savons. Mais tu ne réfléchis pas aux conséquences.
• Chandra a manqué à sa promesse. Il doit être puni.
• Nous ne le contestons pas, disent les autres dieux. Tu as le droit de le punir, mais tu ne peux pas le faire disparaître complètement. As-tu seulement songé que sans les plantes sacrées, sans les plantes magiques, plus personne ne pourra pratiquer tes rituels ? Même nous, les immortels, nous en pâtirons. Sans les plantes, comment fabriquerons-nous le soma, la boisson qui assure notre immortalité ? Et qui nous honorera ?

Daksa commence à comprendre le danger dans lequel il a plongé l’univers. Il garde ses yeux fermés, pour réfléchir.

• J’ai peut-être une idée. Impossible d’annuler ma malédiction. Mais je peux en atténuer les effets. Si Chandra s’occupe bien de chacune de ses épouses, en passant chaque nuit avec une autre, sa lumière croîtra. Il redeviendra un cercle argenté. Puis sa lumière diminuera pour lui rappeler ses devoirs. Si, malgré son déclin, il continue à bien s’occuper de ses épouses, en passant chaque nuit avec une autre, après avoir complètement disparu, sa lumière recommencera à croître. Et je lui accorde une nuit de repos.

La délégation des immortels va alors trouver Chandra pour l’informer de la décision de Daksa. Maintenant Chandra n’a plus plus le choix. Il reprend son manège. Dîner aux chandelles avec Radha, un flirt avec Hasta, de gros câlins avec Pusya. Il passe un moment avec chacune de ses vingt-huit épouses. Quand il retrouve sa chère Rohini, il ne s’attarde pas auprès d’elle. Il lui promet simplement qu’il reviendra, tout comme aux autres. Et il tient parole. Quant au jour de repos, je peux vous assurer qu’il a apprécié.

Depuis ce temps-là, la lumière de la lune apparaît petit à petit, puis elle diminue jusqu’à disparaître complètement. Ensuite elle revient peu à peu jusqu’à être pleine. Quant à la lune, pendant ce temps, elle ne manque pas de traverser chacune des constellations de l’écliptique. Vingt-huit constellations qui se trouvent sur l’orbe parcouru par la lune. Nous comptons douze constellations du zodiaque, mais, dans des temps reculés, les habitants de l’Inde en voyaient vingt-huit. Et on dit que ce cycle est bénéfique pour les plantes, en assurant leur croissance et les pouvoirs thérapeutiques, voire magiques qu’on leur attribue.

La plus malheureuse, dans cette histoire, c’est Rohini. Son amoureux ne vient plus la voir qu’une nuit par cycle. En compensation, Rohini est devenu la constellation des amoureux. Si vous voulez trouvez l’âme-sœur, regardez bien cette étoile à la teinte rouge que nous connaissons sous le nom d’Aldébaran.

En souvenir de cette histoire, quand on offre une coupe de lait à Chandra, on le prie ainsi :

Ô Chandra !

Toi qui es né de l’écume de la mer de lait,

Toi qui es né des larmes d’Atri,

Toi qui porte le lièvre,

Toi qui es accompagné de Rohini, l’étoile rouge,

Accepte mon offrande.

Pourquoi il y a un lièvre dans la lune ? C’est le sujet d’une autre histoire.